艾 L’histoire de l’armoise, la plante divinatoire

J'ai vu un film intitulé Les hommes du feu quand j’apprenais le français. Ce film plein d'imagination raconte comment l'humanité a découvert le feu, l'a utilisé, protégé et combattu pour préserver ses braises, jusqu'à apprendre à le produire artificiellement. Le feu est une des sources de la civilisation humaine : les humains vénèrent, respectent et aiment le feu. Dans les temps anciens, le feu était considéré comme une force divine offerte par les cieux.

En Chine, l'utilisation de l’armoise (艾Ài )a une longue histoire. Ses premières évocations mentionnent son rôle en tant que médium pour "capturer le feu céleste". Dans Huainan Wanbi Shu淮南万毕术, un texte datant du IIᵉ siècle avant J.-C., il est écrit : « Faites une sphère de glace et placez-la face au soleil, utilisez de l'armoise pour recevoir son ombre, et le feu s'allume. » Les anciens façonnaient des lentilles sphériques en glace pour concentrer les rayons du soleil et allumer l’armoise. C’est pourquoi l’armoise était aussi appelée Bingtai (plateforme de glace).

Dans Huainanzi • Astronomie淮南子·天文, il est également noté :  « Le miroir solaire est en métal, prenez un verre en métal sans bordure, le chauffez en le frottant, au moment où le soleil est au zénith, placez le sous les rayons du soleil, mettez l'armoise au milieu, cela permet d'allumer du feu. » D'autres textes historiques, tels que le Zhou Li周礼, mentionnent que le miroir solaire, fabriqué en bronze ou en cuivre, produisait du feu lorsqu'il était orienté vers le soleil. Bencao Gangmu 本草纲目(Compendium de Materia Medica) décrit : « Le miroir solaire est un miroir ardent, fabriqué en bronze coulé avec une surface concave. Chauffé et dirigé vers le soleil, il enflamme l'armoise. »

Les recherches historiques suggèrent que le miroir solaire pouvait être soit une coupe métallique à fond pointu, soit un miroir concave en bronze. En le plaçant sous les rayons du soleil, la lumière se concentrait à la pointe de l'endroit où était placée l'armoise, générant ainsi des flammes.

Que ce soit par la glace ou le miroir solaire, l'armoise, en tant que médium pour capter le "feu céleste", apparaît comme l'un des premiers matériaux utilisés pour produire du feu.

L'armoise était aussi utilisée dans les rites et divinations. Avant la dynastie Shang, elle servait d’outil de divination pour prédire la chance ou le malheur. Dans le nord de la Chine, les chamans utilisaient la plante en entier de l’armoise pour pratiquer la divination en brûlant le coté racine, puis en interprétant les nombres pairs et impairs des tiges pour prévoir la destinée.

Les Tangoutes avaient une pratique appelée Zhibojiao炙跋焦 consistant à brûler des os d’agneau avec de l’armoise pour prédire les événements en fonction des fissures des os. Cela montre l'importance de l'armoise dans les rituels anciens.

Dans la vision du Yi Jing易经, les nombres impairs (1, 3, 5, 7, 9) symbolisaient le ciel (yang), tandis que les nombres pairs (2, 4, 6, 8, 10) représentaient la terre (yin). En écriture oraculaire, "乂" symbolisait le chiffre cinq, souvent représenté par un "×". Deux "乂" superposés formaient le caractère "爻", représentant les transformations du yin et du yang. Dans ce contexte, le "乂" supérieur représente le ciel (yang) et le "乂" inférieur la terre (yin), et "爻" incarne les interactions dynamiques entre les forces yin et yang.

Le caractère chinois "艾" (armoise) se compose de la clé d'herbe "艹" au-dessus et du caractère "乂" en dessous. Le secret de ce caractère ne réside pas dans l'herbe au sommet, mais dans le "乂" en dessous.

Selon Bencao Gangmu 本草纲目(Compendium de Materia Medica), « l'armoise est une herbe qui soigne les maladies, ses propriétés de guérison sont plus puissantes si elle est sauvegardée plus longtemps, ce qui explique que son nom inclut "乂" ». Le caractère "乂" signifie guérir ou stabiliser selon le dictionnaire ancien « Er Ya 尔雅», et lorsqu'il est combiné avec un radical en forme de lame ("刂"), il devient "刈", signifiant couper ou éliminer selon le dictionnaire «  Guang Ya 广雅». Avec la clé d'herbe, il devient "艾",

Les caractères "乂", "刈" et "艾" partagent non seulement une prononciation similaire, mais aussi des significations connexes.

Pourquoi les anciens ont conçu le caractère de l’armoise tel qu’il est? Parce qu'elle est de nature yang et peut canaliser l'énergie bienveillante du "feu céleste". Ce principe mystique est enraciné dans le caractère "乂". L'armoise a des propriétés curatives, elle permet de chasser les esprits malveillants, et sert à traiter de nombreuses maladies par Aijiu艾灸.

L'armoise est utilisée en médecine traditionnelle chinoise depuis l'Antiquité. Dans le Huangdi Neijing 黄帝内经(Canon interne de l’Empereur Jaune), l’armoise est mentionnée à cinq reprises comme une plante essentielle de la pratique Jiu灸, une pratique aussi importante que l’acupuncture.

Dans le manuscrit médical Wushi’er Bingfang五十二病方 (Prescriptions pour 52 maladies), découvert dans la tombe de Mawangdui datant de la dynastie des Han antérieurs, l'usage de la fumée d'armoise pour traiter les hémorroïdes est mentionné.

Dans le Jingui Yaolue金匮要略, écrit par Zhang Zhongjing sous la dynastie des Han postérieurs, la décoction "Jiao Ai Tang", contenant des feuilles d'armoise, est décrite comme un remède efficace contre les pertes sanguines pendant la grossesse, l'anémie lié avec le corps froid, et les menstruations abondantes. Elle reste un traitement gynécologique reconnu aujourd'hui.

En Chine, il y a aussi beaucoup de coutumes et anecdotes liées à l'armoise. Je partagerai davantage à ce sujet une autre fois.

 

*Dans cet article, on parle précisément de l'espèce : Artémisia Argyi.

Praticienne en médecine traditionnelle chinoise
Peng Lilan